DECEMBRE 1958 - La voix de sa mère résonnait. Et ses yeux si noirs détaillaient, de bas en haut, la deuxième née de la famille. « Ajuste ton chemisier. » Oui, sa mère la détaillait et, elle ne pouvait s'enlever de l'esprit la pensée que ce regard si intensément fixé sur elle n'avait pour seul but que de chiner une mauvaise chose, et non simplement pour vérifier l'allure pourtant parfaite de son enfant. « Oui, mère. » Elle s'exécutait, simplement, alors que la voix de cette femme souvent si froide s'élevait à nouveau dans la pièce, s'adressait cette fois à son aîné. Hades. Le premier né. Le premier. Souvent le seul. Le seul aux yeux du monde, aux yeux de celle, qui depuis plusieurs minutes maintenant l'admirait. Hades, l'héritier. Hades, celui sur qui toute l'attention était portée. Et malgré les années, elle n'avait jamais su s'habituer. S'habituer à la situation, accepter son sort. Être seconde. Et pourtant, être seconde était-il si mal ? Peut-être pas. Non, sûrement n'était-ce pas si mal en soit mais, il était si difficile d'accepter la situation lorsque tant d'efforts avaient été déployés d'un côté, de son côté, et si peu de l'autre. Rien. Hades ne faisait rien et pourtant, toute l'attention était portée sur lui. Tous les espoirs reposaient sur ses épaules. Sur les épaules d'Hades, le fils parfait. Et pourtant, Hades, le fou. Elle ne savait réellement pourquoi il était ainsi nommé, parfois, mais elle le disait. Le répétait. Sans comprendre, mais sans gêne, même avec conviction. Elle le répétait, car elle appréciait la lueur qu'il y avait dans le regard de son frère lorsqu'il entendait ce mot sortir d'entre les lèvres de sa petite-soeur. Elle appréciait, cette tristesse, presque souffrance, quasi palpable. Elle appréciait, lui planter ce couteau à la lame d'une froideur inégalable en plein dans le thorax, sans même avoir à le toucher, ni à le regarder. Car elle ne voulait pas s'y attarder. S'attarder sur celui qui avait déjà tout. Lui donner plus de crédit, l'entourer davantage, lui renvoyer un quelconque respect que lui-même ne se donnait pas la peine de lui porter. Et l'amour. Encore moins l'amour. Elle ne voulait pas l'aimer, qu'il sache qu'elle l'aimait. Alors elle s'éloignait, toujours plus, de celui qu'elle détestait. Elle s'éloignait, le fuyait, l'occultait de manière si banale, avec ce dégoût, toujours plus présent, toujours plus flagrant. Non, elle ne voulait pas l'aimer, car il ne l'aimait pas. Et cette jalousie, ce désir maladif de le voir tomber de son piédestal, la rongeait à mesure que les années passaient. La rongeait, l'enfant, cette enfant, dont personne ne devait voir le cœur si noir, l'ambition assombrie par cette malveillance non apprivoisée malgré les années. L'enfant, aux traits fins, au visage pur, innocent, qui s'alourdissait dès lors qu'elle posait les yeux sur lui. Lui, Hades, celui pour qui elle ne ressentait qu'aversion profonde, jalousie, rancœur. Celui qu'elle se détestait d'aimer.

OCTOBRE 1968 - Premières vacances de l'année scolaire, rien ne semblait aller. Et si l'on aurait pu croire à un dîner familial formel, comme pour fêter retrouvailles entre enfants et parents, il n'en était rien. Non, faux rassemblement à l'allure banale. Certains savaient. D'autre non. Et elle, celle qui ne devait pas connaître, se doutait. Ce n'était plus une enfant, elle avait quinze ans. Et si l'âge adulte semblait loin, son esprit n'en était pas temps. « Levons nos coupes à Hades. » Elle était loin, et en même temps si proche. Suffisamment loin pour être considérée comme n'appartenant pas à la discussion, suffisamment proche pour les entendre. Eux, qui clamaient, à nouveau, comme toujours, la fierté qu'ils ressentaient en voyant l'héritier. Elle soupirait, alors. Soupirait, de n'en plus pouvoir. Avant-bras posés sur la lourde table de bois, mains entrelacés, elle sentait ses doigts, qui à mesure que les secondes passaient, à mesure que son père parlait, se serraient. Toujours plus fort, à en faire noircir la couleur si pâle de sa peau. Le discours continuait, les coupes tintaient et sur le faciès de chacun, un sourire franc se dessinait. Sauf un. Sauf le sien. Alors qu'elle osait un regard vers celui qu'elle ne contemplait jamais, vers celui envers lequel les années n'avaient réussi à faire pâlir cette jalousie, cette haine qu'elle ressentait, pour la première fois elle se surprenait à ne pas détourner le regard. Pas directement. Comme attirée par ce faciès dénué d'émotion, de satisfaction. L'impassibilité dont il faisait preuve la tourmentait presque. Et dans les prunelles de ce frère à l'allure en ce jour parfaite, il n'y avait rien. Rien d'autre, qu'un appel à l'aide. Sûrement était-ce difficile à desceller, sûrement jouait-il bien la comédie, mais elle, celle qui éveillait en lui des sentiments si noirs, si profonds depuis leur enfance amère, elle, il ne pouvait la duper. Un frisson lui parcourait le corps, éveillant en elle des sentiments incertains, de ceux qu'elle n'avait jamais ressenti jusqu'alors, sur lesquels elle ne savait mettre de nom. Alors qu'au même moment, des prunelles d'un bleu si froid croisaient les siennes. Pour la première fois, depuis longtemps. Mais si peu de temps, puisqu'il n'avait fallut qu'un centième de seconde à peine pour que chacun retourne à sa propre contemplation.

JUIN 1970 – Tu vas l'épouser. Elle entendait encore la voix de son père, alors que les mains de son amant prenaient les siennes. Elle allait l'épouser. Épouser ce fils de bonne famille, ce garçon au sang-pur, auquel pourtant depuis toujours elle se savait liée. Mais, sûrement le dire à voix haute rendait-il la chose plus réelle. Sûrement, puisqu'elle ne l'avait plus entendu depuis des années, avait-elle fini par se sentir comme libre. Libre de tout serment, chaînes, et autres pactes scellés à son insu. Et pourtant elle avait vu son frère, quelques années auparavant, se faire rappeler à l'ordre. Pourtant, elle avait vu ses cousins, les uns après les autres, mariés, liés de force. Mais en elle, l'espérance d'une liberté était née. L'espérance, d'un oubli. Qu'on l'est oublié, elle, la seconde née, qu'on ne voyait jamais, à qui l'on parlait vaguement, s'intéressait vaguement. « Embrasse-moi. » Leurs lèvres se collaient, ne se séparaient plus. Et les mains de celui qui de maintes années était plus âgé qu'elle, ne se décollaient plus de son corps, effleurant chaque parcelle de celui-ci, comme pour en graver les contours dans son esprit, s'en rappeler toujours, comme s'il n'y goûterait plus jamais. Il lui susurrait un mot à l'oreille, auquel elle répondait par des actes, elle, la fille pure, qui voulait le rester, mais qui ne le serait plus d'ici une poignée de minutes. En avait-elle envie ? Pas vraiment, et pourtant elle se laissait aller aux mains de celui qui l'initiait, comme une réponse à cette alliance qu'on l'obligeait à faire. Parce qu'elle ne voulait pas. Ne voulait pas qu'on lui impose, quoi que ce soit. A elle, celle que ses parents n'ont jamais mis en avant. Pourtant elle les aime, depuis toujours elle leur obéit, leur obéira, mais sa fougue avait en cet instant pris le pas sur la raison. Alors elle se rapprochait, toujours plus, de celui dont elle était déjà bien trop proche. Elle se rapprochait, se laissait faire, prenait des initiatives, comme pour se convaincre que son existence lui appartenait, qu'elle pouvait faire ce qu'elle voulait. Avec son cœur, avec son âme, avec son futur. Quand bien même savait-elle au fond que ce n'était pas le cas, et qu'après ça, le retour à la réalité n'en serait que plus dur.

De quoi détesterais-tu le plus qu'on te traite ?:  Incapable, honteuse, inutile. Ce genre de mots qu'elle redoute, qu'elle fuit, qu'elle n'espère jamais entendre. Et elle redoute le jour où l'un d'eux sera prononcé à son encontre. A l'encontre, de celle qui prône une perfection qu'elle peine parfois à atteindre, mais qu'elle se doit d'essayer de toucher du bout des doigts. Parce que sans ça, elle n'est rien. Si elle perd cela, plus aucun regard ne se tournera vers elle. Jamais.

L'aube ou le crépuscule ?: Le crépuscule. Ce moment où les corps, les âmes, se distinguent à peine, pour finalement disparaître dans la noirceur d'une nuit impénétrable.

Un Moldu t'aborde en pleine rue en te lançant qu'il est persuadé que tu es un sorcier ou une sorcière. Que fais-tu ?: Elle l'ignore, simplement. Et son regard ne daignerait pas se poser sur le faciès d'une telle personne au-delà de quelques centièmes de secondes. Parce qu'elle s'en fiche. Parce que le jugement de cet homme ne l'intéresserait pas. Parce qu'elle n'a rien à lui prouver, ni à lui, ni aux autres.

Qu'est-ce que tu as le plus hâte d'apprendre à Poudlard ?: Le savoir, en général. La grandeur, par le savoir. Elle, c'est la fille qui veut tout apprendre, tout connaître, tout maîtriser. Celle à qui rien ne semble pouvoir échapper, qui peut tout assimiler, qui doit tout assimiler.

Que préférais-tu?: Que les autres t'admirent et te félicitent.

Quel chemin te tente le plus?: L'étroite ruelle sombre, éclairée à la lanterne.

Sous quel nom préférerais-tu entrer dans l'histoire ?: La Grande.

Un détraqueur a réussi à pénétrer dans l'école, comment réagis-tu ?: Elle le regarde, l'admire, presque. Contemplation irraisonné, irrésistible. Mais de loin, sûrement. D'assez loin, comme pour prétendre à une certaine normalité.  

S'il te fallait faire un choix, préférerais-tu inventer une potion te garantissant: Le pouvoir.

Le noir ou le blanc?: Le noir. Peut-être aussi ce contraste avec le blanc. Ce mariage violent entre ces deux, que tout oppose, mais qui se lient si bien.