Après toutes ces séances, il n'arrivait toujours pas à bloquer son professeur d'Occlumencie, à le garder éloigné de ses souvenirs, ses pensées... Quelle frustration! Un Florian, encore tout jeune, marchait avec détermination vers sa salle de cours pour une énième session. Il essayait de se convaincre que ce soir, ce serait différent, il n'échouerait pas. Il ne pouvait pas échouer. Il était beaucoup trop près de la vérité, de secrets enfouis très profondément, dont lui-même n'avait qu'un souvenir flou et embrumé. S'il apprenait, il serait dans l'obligation de tout divulguer, et ça, c'était un risque trop grand. Mais pas assez grand pour l'empêcher de mettre sa main sur la poignée, de la tourner et d'entrer dans la salle, sombre et froide. Florian avait appris à vider son esprit quelques minutes avant d'entrer dans la salle de classe, ainsi toute attaque surprise... ne le prenait pas par surprise. Et, ce jour-ci, cette technique de préparation fut un choix judicieux. À peine eut-il un pied dans la porte qu'il l'entendit. Legilimens. Il n'était pas encore assez doué, cela dit, et certains souvenirs refirent surface. Ils refaisaient toujours surface.

Il était dans la salle commune des Serpentards, deuxième année, plume et parchemins à la main. C'était un long devoir d'Histoire de la magie. Devant lui, trois étudiants le dévisageaient, sourires moqueurs et cruels. « C'est pas la peine, Darkwood. Tu peux retourner vivre avec ta famille de moldus, t'obtiendras jamais le diplôme. Et même si tu l'obtenais, t'as pas ta place ici. Tu veux qu'on te dise pourquoi? Parce que tu es un... » Et les trois, à l'unisson se mirent à chanter ce mot, cet horrible adjectif, ce stigmate qu'il porterait toute sa vie. « Sang-de-bourbe! Sang-de-bourbe! Sang-de-bourbe! » Et bientôt, ils furent rejoints par un autre étudiant, puis un autre, et un autre, et ce fut toute la salle commune qui chantait en chœur. « Sang-de-bourbe! Sang-de-bourbe! » Tout en douceur, Florian prit sa plume, son encre et ses parchemins, et les rangea. Il se leva et posa son regard froid sur tous les élèves présents. Petit à petit, les chants cessèrent devant ces prunelles inexpressives et glaciales. « Tu vas faire quoi, hein, Darkwood? Nous jeter un sort? Une malédiction, peut-être? » Lentement, il se tourna vers celui qui avait parlé, celui qui semblait être le chef du trio. Les autres étudiants de la salle commune ne virent pas son regard, ils ne virent que son adversaire pâlir et déglutir. Et, sans dire un mot, Florian rejoint sa chambre, à la recherche de tranquillité.

Florian revint dans la salle de cours, son professeur d'Occlumencie lui faisait face. Ils s'observèrent un long moment. « Ne s'agissait-il pas de Perry Fergusen? » « Oui, monsieur. » Un autre moment de silence pendant lequel son enseignant cherche dans sa propre mémoire. « C'est un élève porté disparu, n'est-ce pas? » « Oui, monsieur. » Florian observait attentivement le langage corporel de son maître d'Occlumencie. Ses yeux s'étaient réduits à une fente suspicieuse, sa stature était rigide et son pouce caressait nerveusement le manche de sa baguette. Avec le prochain sort, allait-il obtenir l'information qu'il recherchait? Au bout d'un long moment, qui parut une éternité pour Florian, son professeur lui indiqua de s'asseoir sur sa chaise. « Cette fois-ci, bloquez moi. » Un avertissement. Le sortilège fusa.

Pendant toutes ces années d'études, Florian s'était demandé pourquoi son professeur d'Occlumencie n'avait rien dit. Il n'avait même pas tenté de le soudoyer avec les informations ténébreuses qu'il avait contre lui. Si les rôles avaient été inversés... Mais alors qu'il se trouvait dans le bureau du Directeur de Poudlard, assis face à son -peut-être?- futur employeur, Albus Dumbledore, il n'était plus si certain. Et si ce vieux Dumbledore était au courant de ses secrets les plus lourds? Et s'il lui refusait l'accès au poste pour ses mêmes raisons? Beaucoup de gens sous-estimaient le Directeur. Ils le prenaient pour un vieux fou dont la gloire se teintait, petit à petit. Pas Florian. En quête de grandeur, il savait reconnaître un grand sorcier lorsqu'il en croisait un, et Albus Dumbledore est un grand sorcier dont il faudrait davantage se méfier. Ce manque de méfiance est probablement sa plus grande arme contre tous ses adversaires, et Florian sait apprécier et admirer la stratégie. Une stratégie, d'ailleurs, qu'il comptait bien appliquer lui-même.

Au bout d'une longue entrevue, il obtint le poste tant convoité. Une autre victoire, un pas de plus vers la renommée. Bientôt, plus personne ne pourrait douter de ses capacités magiques, né-moldus ou pas. Il vaincrait contre ces esprits clos, ces sbires de ce Lord noir qui affirmaient le contraire. Durant les premiers mois comme professeur à Poudlard, il s'était convaincu que Dumbledore n'était au courant de rien. Sinon pourquoi l'engager? Mais plus il le rencontrait dans les couloirs, et plus il se doutait du contraire. Alors la question restait, flottant dans les airs comme un doux poison inodore : pourquoi l'avoir engagé? Cette question, lentement, l'obsédait.

Un étudiant porté disparu. Une nuit dont Florian Darkwood ne se souvenait plus. En voyant le profil de l'étudiante : une serpentarde, dernière année, prometteuse et très fortement pro-sang-pur, il se douta de son implication dans sa disparition. Elle l'avait plusieurs fois provoquée par le passé. Et plus les années avançaient, plus son avidité pour la puissance grandissait, plus sa patience s'écourtait. Il n'avait pas envie de creuser dans sa mémoire et déterrer ce nouveau secret. Il ne voulait pas vraiment savoir, au fond. C'était une personne de moins en travers de son chemin. L'obtention de sa lettre pour Poudlard avait été la plus belle révélation de sa vie, et il ne laisserait jamais personne lui retiré son bien le plus cher : son droit le plus légitime à la magie.

Il deviendrait un grand sorcier, et il sera reconnu comme tel. Peu importe ce que cela lui en coûtera - ou coûtera aux autres.

Il n'y a qu'un pas entre l'ambition et la folie, et Florian venait peut-être de le passer...